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Les marchés du carbone, au centre de la transition énergétique

Des travaux sont en cours et pourraient, espérons-le, amener un dialogue constructif dans cette sphère.

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Piles de monnaie posées sur la terre dans un champLes crédits et la compensation carbone incitent les organisations capables de réduire leurs émissions ou d’éliminer du carbone à vendre leurs droits d’émission inutilisés à celles qui en ont besoin. (Getty images/ Doina Tocmelea)

Les marchés du carbone jouent un rôle central dans la transition énergétique, mais la qualité des mécanismes actuels est remise en question, tout comme l’intégrité des intervenants sur ces marchés. En réaction à cette situation, des membres de la profession canadienne de CPA et d’autres professionnels de la comptabilité et de la finance du monde entier mènent des recherches en vue de mettre au point de nouvelles normes et pratiques exemplaires dans ce domaine.

Nous nous sommes entretenus avec trois collaborateurs clés aux travaux sur les marchés volontaires du carbone :

  • Rosemary McGuire, CPA, vice-présidente de la division Recherche, orientation et soutien à CPA Canada à Toronto.
  • Ryan Riordan, éminent professeur en finance à la Smith School of Business de l’Université Queen’s à Kingston, et directeur de recherche à l’Institute for Sustainable Finance de l’Université Queen’s, qui collabore avec CPA Canada à des projets sur les crédits carbone.
  • Stathis Gould, directeur de l’engagement des membres à la Fédération internationale des comptables (IFAC) à New York, et chef de file et ardent défenseur des intérêts des comptables professionnels en entreprise et dans le secteur public.

UTILITÉ DES MARCHÉS DU CARBONE

Les crédits et la compensation carbone ont pour but d’inciter les organisations capables de réduire leurs émissions ou d’éliminer du carbone à vendre leurs droits d’émission inutilisés à celles qui en ont besoin, explique Ryan Riordan.

« Les marchés font ainsi ce qu’ils font le mieux : trouver qui est prêt à payer le prix le plus élevé », ajoute le professeur.

INTÉRÊT GRANDISSANT DES ENTREPRISES ET DES AUTORITÉS DE RÉGLEMENTATION

On attend de plus en plus des organisations qu’elles participent à la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. « L’atteinte de la carboneutralité est d’ailleurs devenue une promesse très répandue, fait remarquer Rosemary McGuire. Les crédits et la compensation carbone sont l’un des moyens pris pour y arriver. »

Elle précise que les termes « compensation carbone » et « crédit carbone », habituellement interchangeables, désignent une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) par une entité, laquelle réduction sert à compenser celles d’une autre entité.

On sait que la lutte contre les dérèglements climatiques passe en bonne partie par la réduction de nos émissions de GES. Même si les crédits carbone ne jouent pas directement sur les émissions ni ne feraient réellement progresser les démarches à l’échelle planétaire, le fait est que, comme l’explique Stathis Gould, les nombreuses entreprises qui se sont fixé un objectif de carboneutralité vont tenter de réduire au maximum leurs émissions au moyen des technologies actuellement disponibles.

Il se peut toutefois que ces cibles ne puissent être atteintes dans les délais établis soit en raison de coûts trop élevés, soit en l’absence de solutions technologiques de remplacement. Par exemple, les transporteurs aériens ne disposent que de très peu de moyens de réduire leurs émissions à faible coût, note le vice-président de l’IFAC.

Dans ces situations, les entreprises doivent compenser leurs émissions, d’où l’engouement pour les crédits carbone dans les marchés volontaires du carbone, poursuit-il.

FONCTIONNEMENT HERMÉTIQUE

Pourquoi ce manque de compréhension chez le public? « Je crois que c’est en grande partie parce que les marchés ont connu une croissance fulgurante et se sont beaucoup complexifiés ces dernières années », avance Rosemary McGuire.

« On ne comprend pas très bien qui génère les crédits, qui en fait la vérification et comment évaluer la qualité des diverses options. C’est ce qui nous a poussés à vouloir creuser le sujet : l’idée est de mieux connaître les marchés et les infrastructures qui les entourent, et de savoir comment la profession comptable peut améliorer la transparence et la crédibilité de ces marchés », poursuit-elle.

AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS

Selon Ryan Riordan, les crédits carbone créent une synergie entre les organisations qui disposent de capitaux sans être capables de réduire leurs émissions à faible coût et celles qui ont besoin de capitaux pour réduire leurs émissions ou éliminer du carbone.

En revanche, ces mécanismes ne sont bien souvent pas encadrés, si bien qu’il est difficile de les soumettre à des vérifications et d’en confirmer les effets.

Sans parler du risque d’écoblanchiment, une pratique qui consiste à présenter de l’information destinée à faire bien paraître l’organisation sur le plan écologique alors que la réalité est tout autre. Le professeur donne l’exemple d’une forêt faussement désignée comme étant à risque d’être rasée pour rendre possible l’utilisation de crédits.

DÉFIS

Les marchés volontaires du carbone sont fondamentalement différents des marchés réglementés.

Par exemple, dans un marché réglementé, on plafonne le nombre de crédits carbone qui peuvent être émis et vendus, et ces crédits font l’objet d’une surveillance de la part des autorités de réglementation et de la classe politique. À l’inverse, un marché volontaire est totalement décentralisé et n’est généralement soumis à aucune réglementation. Les crédits carbone sont alors émis et vendus par l’intermédiaire d’entités et de programmes non réglementés, explique Stathis Gould.

En outre, bien souvent, les marchés volontaires du carbone sont très complexes et opaques, en plus de regrouper de nombreux intervenants, notamment des organisations non réglementées du secteur privé, qui sont couramment associées à une mauvaise gouvernance et à des risques de conflits d’intérêts. Et, contrairement aux marchés réglementés, qui sont réservés à certains secteurs et à certaines entreprises, les marchés volontaires sont ouverts à tous.

OCCASIONS À SAISIR POUR LES CPA

Les CPA sont là pour aider les entreprises à identifier et à gérer les risques et les possibilités associés aux changements climatiques, et peuvent les accompagner dans l’établissement d’un plan de transition viable. Ainsi, souligne Rosemary McGuire, ils doivent être en mesure de déterminer dans quelles situations il est indiqué d’avoir recours aux crédits carbone dans la stratégie de décarbonation d’une organisation, d’évaluer avec diligence la qualité des crédits carbone utilisés, et de limiter les risques.

Et en ce qui concerne l’achat ou la génération de crédits carbone, ajoute Stathis Gould, les CPA doivent aussi trouver le bon traitement comptable à appliquer dans les états financiers, selon l’utilisation qui sera faite des crédits carbone dans l’atteinte des cibles de carboneutralité de l’organisation.

TAILLE DES MARCHÉS

Les marchés volontaires du carbone ont pris beaucoup d’ampleur depuis leur création, il y a environ 20 ans. À la fin de 2023, ils émettaient entre 250 et 300 millions de crédits annuellement, chaque crédit représentant une tonne de dioxyde de carbone (CO2) ou de gaz à effet de serre équivalents, explique Ryan Riordan. On prévoit que la valeur en dollars des marchés volontaires du carbone, qui était de 2 G$ en 2020, devrait atteindre 250 G$ d’ici 2050.

RÉFÉRENTIELS APPLICABLES

Les Oxford Principles for Net Zero Aligned Carbon Offsetting, ou principes d’Oxford, et les dix principes de l’Integrity Council for the Voluntary Carbon Market, un organisme indépendant dans le domaine des marchés volontaires du carbone, constituent des références mondiales en matière de fiabilité des crédits carbone.

« Ces deux ensembles de principes fournissent des indications importantes sur la façon d’améliorer la qualité des mécanismes et sur les priorités à adopter », fait valoir Stathis Gould.

À VENIR...

Des démarches importantes sont en cours pour répondre aux demandes des parties prenantes, qui veulent davantage de transparence et une meilleure reddition de comptes.

Par exemple, la nouvelle norme mondiale IFRS S2 Informations à fournir en lien avec les changements climatiques prévoit des dispositions sur les informations relatives aux changements climatiques et, plus particulièrement, sur les crédits carbone. Les entreprises seront ainsi tenues de dire dans quelle mesure et de quelle façon elles utilisent les crédits carbone pour atteindre leurs cibles de réduction des émissions nettes de GES, souligne Stathis Gould.

Les entreprises devront notamment fournir des informations sur le programme de vérification utilisé et sur le type de projets représentés (éléments naturels ou technologies), en plus d’indiquer si la compensation sous-jacente est atteinte par la réduction des émissions ou par l’élimination de carbone, précise le professeur.

De plus, l’International Organization of Securities Commissions (IOSCO) se penche sur la question pour définir en quoi devraient consister des marchés volontaires du carbone sains et efficients, et déterminer ce que les autorités de réglementation du secteur financier pourraient faire pour favoriser l’intégrité de ces marchés.

« Nous espérons que nos travaux permettront d’ouvrir un dialogue constructif entre les acteurs clés du domaine, dans le but de rendre les marchés du carbone moins complexes et d’en assurer la crédibilité et la solidité, notamment par l’innovation », souhaite Rosemary McGuire.

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