Selon Shawn Kanungo, stratège en innovation et CPA, la comptabilité est plus vivante que jamais, mais il faut un nouveau type de comptable pour s’adapter aux réalités de notre époque. (Image fournie)
Au Colloque sur le secteur public de 2023, le conférencier d’honneur Shawn Kanungo invitera les comptables du secteur public à profiter des grands bouleversements pour transformer la profession.
En plus d’avoir figuré au palmarès des quarante personnalités de moins de quarante ans de la revue Edify et sur la liste des 100 leaders les plus novateurs de la revue Inc., Shawn Kanungo porte les chapeaux de spécialiste du marketing, de stratège en médias, de futurologue et de créateur de contenu. Depuis des années, il invite le secteur public à épouser le changement.
C’est aussi un membre accompli de la profession comptable au Canada. Comme son père avant lui, il est devenu CPA. Il a travaillé 12 ans chez Deloitte et est aujourd’hui marié à une CPA.
CPA Canada s’est entretenu avec lui pour en savoir plus sur l’innovation de rupture en comptabilité.
CPA Canada : La notion d’innovation de rupture n’est pas nécessairement connue de tous. Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s’agit?
Shawn Kanungo (SK) : Le terme anglais disruption – qu’on peut traduire par « innovation de rupture » – est employé depuis longtemps, mais a été particulièrement présent dans le discours ces cinq dernières années.
Clayton Christensen, professeur à Harvard et homme d’affaires, l’a d’abord popularisé dans son livre The Innovator’s Dilemma, où il décrit un processus par lequel de petites entreprises peuvent progressivement ravir des parts de marché à de grandes organisations bien établies, jusqu’à les supplanter.
Si l’idée collait bien à la réalité de l’époque, il faut l’appréhender autrement aujourd’hui.
Une innovation de rupture survient quand quelqu’un ou quelque chose vient soudainement rompre le statu quo dans un secteur donné. Il peut s’agir d’une personne, d’une technologie ou d’un concept, d’une marque ou d’une idée. L’aspect le plus important de l’innovation de rupture, c’est qu’elle change considérablement les règles du jeu.
CPA Canada : Pouvez-vous nous donner des exemples de grands bouleversements qui secouent les organisations aujourd’hui?
SK : L’entité qui provoque le plus de bouleversements dans le monde aujourd’hui, c’est l’individu. Maintenant que nous avons tout au bout des doigts, les technologies deviennent rapidement des produits de consommation courante, grâce à l’infonuagique et aux logiciels-services. Le savoir est également transformé en produits par l’IA générative, ChatGPT, Midjourney et toutes ces plateformes qui peuvent créer des idées, des contenus, des analyses et même des stratégies et des tactiques. Comme tout ça tient dans nos poches, nous pouvons en faire beaucoup plus avec beaucoup moins, ce qui est révolutionnaire en soi.
Le télétravail et le numérique – en particulier dans le sillage de la pandémie – créent de nouvelles attentes qui changent tout. Bien sûr, l’adoption de l’infonuagique et des logiciels-services par les grandes institutions et le secteur public reste aussi un facteur de transformation.
« On ne devient pas comptable pour saisir des données. On le devient pour résoudre des problèmes de finance », soutient Shawn Kanungo. (Image fournie)
CPA Canada : Dans le secteur public, il y a parfois une réticence à embrasser l’innovation, à renoncer à des façons de faire bien ancrées. Comment combattre le fameux « ça s’est toujours fait comme ça »?
SK : Je pense que c’est l’attitude la plus dangereuse à avoir actuellement. Quand une personne dit qu’elle accepte la médiocrité, elle accepte « le milieu de gamme », elle accepte le statu quo. Or, aucun leader ne devrait accepter le statu quo dans une ère de changement exponentiel.
Si vous n’avez pas compris que les technologies sont en voie de révolutionner le monde de la finance, si vous ne percevez pas la transformation du secteur public, vous mettez votre organisation à risque. Vous la freinez et l’exposez à la fraude, au risque de cybersécurité et au risque d’atteinte à la réputation, pour ne donner que quelques exemples. Qui plus est, se satisfaire du statu quo, c’est risquer de perdre de sa pertinence. Votre travail est donc d’expérimenter et d’innover, continuellement. Comme leaders dans ce monde nouveau, nous devons permettre la perte de temps.
Qu’est-ce que j’entends par là? Qu’il faut laisser plus de gens jouer, explorer, faire des expérimentations. Il faut donner aux gens des espaces où ils peuvent faire toutes sortes d’essais avec les nouvelles technologies. Que ce soit pour tester de nouveaux outils, tisser des liens avec des tiers ou collaborer avec de jeunes entreprises, il faut accepter d’accorder plus de temps à la créativité et à l’innovation, afin de récolter des apprentissages et des progrès.
CPA Canada : Sur votre site, vous avez une présentation intitulée « Is accounting dead? » (La comptabilité est-elle morte et enterrée?) Que vouliez-vous dire et comment se dessine l’avenir de la profession?
SK : On annonce la mort de la comptabilité depuis des décennies. Quand l’ordinateur est arrivé, on a dit que la profession était vouée à disparaître. Même chose avec Excel. Vers l’an 2000, des experts affirmaient qu’en 2010, tous les processus financiers seraient pris en charge par l’automatisation ou l’intelligence artificielle. Il va sans dire qu’ils se sont trompés.
La comptabilité est plus vivante que jamais. Il nous faut cependant un nouveau type de comptable. Un nouveau type de leader en finance. Je pense qu’on a besoin du « comptable exponentiel ». Quelqu’un qui comprend l’automatisation. Quelqu’un qui pourra réinventer des tâches routinières comme la saisie de données, le rapprochement ou la production de rapports de base, qui ne se contentera pas de faire du copier-coller, mais saura manier tous ces outils d’automatisation épatants.
Nous devons devenir des experts de l’IA générative et de l’analytique avancée au sein de nos organisations. Le « comptable exponentiel » que j’évoque apprend continuellement pour s’adapter aux nouvelles réalités, pour s’adapter à son époque.
Alors, la comptabilité est-elle morte et enterrée? Non. Et elle ne le sera jamais. En fait, la comptabilité devrait être vue comme la profession la plus sexy au monde en ce moment. La profession a déjà les technologies et les outils nécessaires pour se moderniser. Il ne lui manque qu’un nouveau type de comptable.
« C’est à nous, comptables, de faire de nos tâches actuelles des tâches obsolètes. Autrement, quelqu’un d’autre le fera à notre place. »
CPA Canada : Que diriez-vous aux CPA et aux travailleurs du secteur public qui craignent que l’automatisation ne rende leurs emplois obsolètes?
SK : C’est à nous, comptables, de faire de nos tâches actuelles des tâches obsolètes. Autrement, quelqu’un d’autre le fera à notre place.
Il faut revenir à la raison d’être de la comptabilité. La comptabilité n’est pas une affaire de tâches. On ne devient pas comptable pour saisir des données ou faire des rapprochements. On le devient pour résoudre des problèmes de finance. Pour prendre des décisions financières optimales pour nos organisations.
Le rôle premier des comptables, c’est d’être des conseillers d’affaires. C’est à nous de voir comment l’IA peut faire une partie de notre travail pour que nous puissions continuer de mener à bien notre mission : créer de la valeur pour nos organisations. Nous ne devons pas craindre l’automatisation, mais au contraire, l’embrasser.
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